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Sous Les Larmes Des Vierges
12 octobre 2006

Angus joue à se souvenir

Il y avait cette femme sur lui qui cherchait son plaisir.


Une femme, c’était un bien grand mot. Angus avait choisi le duplicata de Pier. Pour sa peau. Pour être dans l’eau aussi. Pour sa peau. Sous ses doigts, sa peau. Ce grain épais, rêche, presque abrasif. L’effet de micro-billes de soude dans des toilettes de mécano. Sa peau.


Pier, à l’époque des faits, était une jeune morphique, plutôt réussie. Les morphiques considéraient le monde comme une gigantesque île du docteur Moreau, et se manipulaient le code génétique, de génération en génération. L’argent de la mode, donc les progrès des laboratoires de bricolage (légaux ou illégaux) étaient tels que certaines chimères étaient considérées comme viables. Passée la mise en quarantaine vétérinaire, elles rejoignaient la grande fraternité des humains. Femmes à barbe du barnum bigarré de la jet-set impériale.


Tout partait d’une immense supercherie, vieille comme l’humanité. Boire du sang de taureau rendait fort, de la corne de rhinocéros priapique, et du corps du Christ vertueux. On avait donc, à tâtons, modifié quelques gènes humains pour les faire se rapprocher de tel ou tel animal aux vertus oniriques. Des vagues entières de morpho-bovidés, de morpho-félidés de morpho-reptiles et autres morpho-marsupiaux, déferlaient dans les soirées de l’ambassadeur pour attirer quelque aristocrate désoeuvré et stérile de préférence. Soyons clairs : très peu d’organes étaient impactés. En général seul le système pileux, le derme, et quelques parties visibles du squelette passaient les fourches caudines du principe de réalité Darwinien. Ce n’est pas tant ces gadgets de surface qu’appréciait Angus, qui avait eu sa période morphique au sortir de l’adolescence, ravitaillé qu’il était dans les anti-chambres du gouvernorat d’Alicante. Ce qu’il aimait, c’était la ferveur avec laquelle les morphiques se conformaient psychologiquement aux clichés bestiaires de leur animal totem. Aidés en cela par quelques nano-psychotropes habilement séquestrés dans l’organisme, les morphiques jouaient à être leur forme. A en être troublant de vérité mythologique.


Angus s’était amouraché de Pier dans un immense Jaccuzi surplombant la baie de la capitale. Sous le dôme cristallin, dans une pénombre fluo-boréale, elle avait effleuré sa peau comme une pickpocket. Hybride quelque part entre la loutre et l’otarie, contorsionniste et mutine, elle lui avait fait travailler son apnée comme jamais. Perdre pied dans le grand bain d’une autre et se raccrocher à de si vieux réflexes … d’avant l’humanité. Sa peau qui était l’aspérité faite chair. De drôles de hanches, stylisées, comme reprises au fusain, par acquis de conscience. Des jambes anecdotiques et ces doigts palmés d’une membrane souple et froide, humide au contact. Un torse puissant, conique, prolongé par des bras, à peine anorexiques, des bras tout en nerfs, en lanières de fouet. Rien à empoigner, juste une peau étrangement sablée, ointe de l’intérieur par des implants odoriférants connectés à ses humeurs. Pier se mettait en scène, flottait sur des rouleaux d’impulsions, marémotrice, houleuse ou pourléchante. Pier louvoyait, subaquatique et vrombissante, avec un homme sur le nez.


Ces coudes sur le rebord du Jacuzzi, la colonne vertébrale en bouillie, avec vue sur la baie scintillante de vaisseaux de nuits, Angus s’adaptait aux caprices d’une jeune morphique femelle, acrobate et palmipède.  Il se perdit plutôt qu’il ne jouit. Et l’attendit. Il y avait cette femme sur lui qui cherchait son plaisir : le sien, aveuglément. Il ne le sut que lendemain, aveugle était Pier. Un gène de taupe égaré dans un fond d’éprouvette …


Ils se revisitèrent ainsi, sur la planète des cinq lunes, rien ne changeait jamais vraiment avec Pier. La pigmentation de sa peau, en évolution, qui devait signifier quelque chose. Un appel à l’aide, encore sourd. Et cette balafre au cou, chaires boursouflées entrouvertes, qu’elle n’avait pas fait gommer, pour se remémorer quelque blessure. Angus lui offrit la tendresse des vieux amants passagers, sans jugement, sans intrusion, puis s’éjecta du jeu.


Lucia et le petit Tomo se tenaient par la main, au bout de son lit, dans un vilain remake de la famille Ingals, à gerber.
-         « bonjour mon chéri, bien dormi ? » Il sentait qu’elle allait lui demander d’aller couper du bois en chemise blanche avec de grosses bretelles.
-         « ta gueule Lucia, mes souvenirs sont plus belles que toi », décidément trop d’ironie au réveil tue
-         « elles ne savent rien de toi » Passant sa langue sur ses lèvres, comme si elle goûtait son pouls en rémanence de  ses péchés.
-         « bon, les tourtereaux, si on se dégénitalisait deux minutes, la limo de la Ranx nous attend »

                                    

 
Une bise non contractuelle à l’étant-un androgyne, et Angus, accompagné de sa petite troupe, sortit de la clinique de réveil pour s’engouffrer dans le véhicule personnel d’Otto Ranx, seigneur et maître du conglomérat éponyme.

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