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Sous Les Larmes Des Vierges
12 octobre 2006

Tomohiko entre en hibernation

Autour de Lucia et d’Angus s’étaient matérialisés deux ovoïdes de micro-apesanteur, placées dans des coquetiers géants. Leurs corps y flottaient, séparés par les membranes isolantes, scrutés, scannérisés, autopsiés. Manquait la neige pour faire cadeau souvenir, mais un fluide visqueux aux replis fractals dégoulinait du sommet des œufs. Angus prenait machinalement appui sur une paroi pour se projeter vers l’autre. Dans la position du lotus, Lucia, des bras, offrait sa sérénité à Angus, le son de sa voix, étouffé par les membranes, lui parvenait en vibrations. Angus n’imagina même pas transpercer sa coquille, et pour elle, il plaça son corps en routine. Il se fit projectile, élaborant des schémas à plusieurs rebonds, et bombant la paroi à chaque impact.

- « Jeunes gens, vous ne comptiez tout de même pas faire entrer ce pirate dégénéré dans le cône ? » La voix les surprit. Elle perlait de toutes les surfaces. Son timbre était légèrement nasillard, soutenu par un coffre puissant et déterminé. Une voix à qui personne n’avait donné d’ordres depuis des décennies.

Le visage d’Otto apparu sur la face interne du cône, au dessus d’eux, la bouche coïncidait avec l’entrée, ce qui lui donnait des allures de totem. Un totem sans âge, émacié. Les maxillaires saillaient, déformaient l’épiderme d’une rectitude sans cesse réaffirmée, irascible. Otto éclata de rire, dévoilant des incisives incrustées d’écrans. Il feint de souffler sur les deux ovoïdes, qui basculèrent hors de leurs coquetiers et roulèrent sur le sol jusqu’à percuter le comptoir d’accueil. Les membranes se déchirèrent laissant échapper les deux humains qui redécouvrirent la pesanteur à leurs dépens. Infortunés girafons.

- « Angus O’Doul, je vous attendais. Montez me rejoindre dans la salle du conseil. Vous pouvez emmener votre sensitive, mais elle ne vous sera pas d’une grande utilité dans le cône. Animal de compagnie peut-être. »
- « Et Tomohiko ? » Répliqua Angus.
- « Il lutte contre ses démons. Oubliez-le ».

La tête d’Otto se volatilisa et la paroi du cône retrouva sa transparence laissant filtrer la nuit. Les lunes rougeoyaient. Les couloirs de circulation superposés tissaient un écheveau multicolore, presque régulier jusqu’aux contours de la ville.

Une boule jaillit soudain sous leurs yeux, comme une pelote de laine creuse, angora électrique. Des centaines d’oursins flashant vibrillonnaient autour d’un corps d’enfant. Tomo, ça ne pouvait être que lui. Chaque oursin émettait ses ondes propres, obéissant à un profil comportemental propre, sautant aléatoirement d’une fréquence à l’autre avec une frénésie gourmande. A eux tous, la noria d’oursins bâtissaient une cage de Faraday virtuelle qui empêchait Tomo de recevoir ou d’émettre des informations. Toute sa connectique était réduite à néant. Il avait beau se contorsionner, anticiper les trajectoires, émettre des rayons hors de lui, comme autant de cannes blanches : il était dans l’impossibilité de percer la muraille, d’atteindre la sphère et de communiquer.

Angus observait la bourrasque de pétales blancs qui dardaient leurs signaux autour de Tomo, recroquevillé. Lucia perçut l’état d’incommunication, la frustration de la déconnection. Puis le repli sur lui-même, l’isolation. La froideur soudaine de Tomo l’étonna, et la fit craindre un abandon. Il résistait mais se réfugiait dans des profondeurs éloignées des couches neuronales de connexion. La nasse grouillante avait verrouillé ses mâchoires sur le vieux pirate qui hibernait.

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